lundi 7 octobre 2013

Calvino-Calvina – C.Frabetti – 112 p. - Les Grandes Personnes – 2010 – 11.50 €


J’ai souvent croisé ce roman mais l’illustration de couverture me mettait mal à l’aise. Cet enfant chauve si pâle et ce chien terrifiant : trop famille Adams, trop freaks pour moi. Heureusement j’ai écouté cette interview des éditrices et j’ai eu envie de lire ce livre dans l’instant ! Je ne regrette pas d’avoir changé d’avis car ce court roman est étonnant à souhait. Seul dans son manoir, un enfant, Calvino tente de déjouer la surveillance des services sociaux qui ne manquerait pas de s’inquiéter de le savoir livré à lui-même. Il tend un piège à un cambrioleur, Lucrecio, afin de le kidnapper et de lui proposer un contrat (un peu sous forme de chantage !). Lucrecio devra prendre l’apparence du père de Calvino afin de faire croire aux voisins, aux agents des diverses administrations qu’il est bien présent et qu’il prend soin de Calvino. Lucrecio est abasourdi mais sa liberté conditionnelle ne lui permet pas de rompre ou de refuser ce contrat. En quelques heures, il devient Calvino père : il se rase le crâne (la calvitie est héréditaire dans cette famille), dort dans la chambre du Maître (lugubre, il a dû retirer un tableau représentant une femme dont le regard semblait l’observer) et sort Loki le chien loup régulièrement (d’une force extraordinaire, Loki le promène). Lucrecio dort très mal car la chambre est sinistre. Après un réveil difficile, il trouve Calvino avec une perruque longue et une robe. Il tente d’interroger le garçon-fille sur son identité mais aucune réponse claire ne ressort de la discussion. La première sortie familiale père-fils/fille est la bibliothèque. Lucrecio se rend rapidement compte que cette bibliothèque est très spéciale et même carrément loufoque. Dans ce bâtiment sombre entouré d’une haute grille rouillée, des malades mentaux sont soignés. La méthode est innovante. Dans cet asile-bibliothèque, on traite les livres ambulants, c'est-à-dire des malades qui se prennent pour des personnages de romans ou pour des œuvres littéraires entières. Ce programme psychiatrique admet aussi les forcenés qui s’identifient à un auteur ou à l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. Emelina l’infirmière-bibliothécaire (en terme de lubricité, on ne peut pas faire mieux !) invite Lucrecio à rencontrer un Baron perché. Ce dernier discute dans un arbre avec un Tarzan un peu boudiné dans son pagne léopard. Lucrecio est très impressionné par cette thérapie : la librairie-pharmacie promet d’améliorer la santé mentale des patients en leur procurant des romans et des personnages qui les aideront à reprendre pied dans la réalité. Malgré une longue et passionnante discussion avec un John Silver éclairé, Lucrecio se sent dépassé par cet asile-bibliothèque et sa situation précaire de kidnappé. De retour au Manoir, il décide de calmer ses angoisses en se préparant une collation. Malheureusement le réfrigérateur ne contient qu’une casserole de brouet pois chiches-riz. Il ne se laisse pas aller et décide de forcer la serrure du garde-manger verrouillé. Avec sa trousse de cambrioleur, il ne faut que quelques minutes à Lucrecio pour ouvrir cette chambre froide ou plutôt cette chambre funéraire car au milieu trône un cadavre congelé, le corps de la femme du portrait. Lucrecio n’est pas au bout de ses surprises ….En 112 pages, ce roman nous offre un vrai bonheur littéraire. Non seulement la thérapie bibliopsychique est un délice mais de nombreuses références romanesques sont à découvrir notamment Dorian Gray. Les personnalités doubles sont troubles et font réfléchir sur l’identité, la filiation et les secrets de famille. J’avoue que j’aimerais que des maisons de retraite décident de suivre cette thérapie en soins palliatifs pour mourir en héroïne ! Ce livre est certes loufoque, complètement décalé et même déjanté mais j’y ai lu un bel éloge aux livres et à la puissance de l’imaginaire. Dès 10 ans pour les lecteurs armés.